lundi 4 janvier 2016

Une étoile jaune

Hier, Musée de Quimper.
Petite rétrospective des acquisitions des dix dernières années.
Tout à coup, je me cogne dans cette image.
Max Jacob, par Jean Boullet, 1943, Musée de Quimper.

Je me cogne, c’est le mot. 
Je ne le connaissais pas, ce dessin ; il y avait bien quelques autres portraits de Max Jacob, un petit tableau de Jean Moulin (l’un de ses amis, que je savais grand amateur d’art, collectionneur et galeriste – sa couverture pendant la guerre – mais pas peintre), le tout un peu perdu dans un flot de peinture bretonne.

Mais je ne m’attendais pas à cette claque ! J’ai eu, comment dire, l’impression de le croiser dans la rue, avec son étoile sur le cœur, ce vieux mystique à l’air si grave.

Et cette étoile, c’est comme si je la voyais pour la première fois. Comme si, me promenant au milieu du monde, on avait réussi à me désigner/dénoncer quelqu’un que je n’aurais jamais remarqué sans ce « signe distinctif. »

J’ai, pour la première fois, ressenti de façon physique, sensible, la fonction de l’Étoile jaune. Toutes celles que j’avais vues avant étaient apportées par le vent de l’Histoire, et aussitôt emportées par lui. Rationnellement, je savais bien entendu assez exactement à quoi correspondait ce signe, ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’intéresse à la question de la « solution finale » ; mais à chaque fois, disons que je m’attendais à le voir. Tandis que là, j’ai compris que, sans cette étoile, je ne me serais sans doute pas arrêté sur ce dessin, assez réussi, certes, mais pas nécessairement de ceux qu’on garde en mémoire après avoir découvert une centaine d’œuvres dans l’après-midi.

Instantanément, cette étoile m’a ramené à la période sombre que nous vivons. J’ai pensé, comme en un écho déformé, aux hordes d’extrême-droite répétant comme des ânes après leurs chef(fe)s : « on est chez nous ! » À ces hommes et ces femmes montrant du doigt le réfugié, le sommant de partir et qui, se sentant différents, accusent les autres de l’être.

Il fallait bien une étoile jaune pour que l’on sût que Max Jacob, juif converti au catholicisme en 1915, mystique profond, poète, installé à Saint-Benoît-sur-Loire, l’un des berceaux du christianisme ; pour que l’on n’oublie sous aucun prétexte qu’il était différent et que son statut appelait toute notre haine !


Bien sûr comparaison n’est pas raison, les populistes d’aujourd’hui ne sont pas les nazis d’hier… mais le rejet méthodique dont ils font preuve à titre d’exemple (comment ne pas penser que Robert Ménard ferait un excellent ministre de la propagande ?) montre bien que des mécaniques approchantes sont en marche. Bien sûr, même chez les plus fanatiques, personne ne parle de « solution finale », juste de guerre de civilisations… sans doute un moindre mal. N’empêche, cette étoile, symbole du « modèle idéal » de la violence faite aux hommes, me semble tristement d’actualité.

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